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Courrier de la part d’un Collectif d’associations (liste en fin de courrier)

Le 12 octobre 2020

Madame, Monsieur,

Le Gouvernement a semble-t-il décidé que l’avenir de l’éducation de la jeunesse française serait assuré à travers des écrans, et cela soulève en nous de vives inquiétudes, dont nous souhaitons vous faire part. Les « États généraux du numérique pour l’éducation » qui se tiendront à Poitiers les 4 et 5 novembre devraient, sans surprise, entériner le projet enthousiaste de la numérisation de l’enseignement alors qu’il s’agit pour nous d’une catastrophe sanitaire, éducative, écologique, économique et sociale, comme ces quelques lignes vont tenter de le montrer. Nous espérons qu’au sein de votre assemblée, fut-elle locale ou nationale, vous pourrez y résister et défendre une conception entièrement humaine de la transmission des savoirs.

Une catastrophe sanitaire et éducative

Aucune étude indépendante n’est parvenue à démontrer un impact positif du numérique sur les apprentissages, bien au contraire : dans l’étude PISA de 20151, les pays qui ont le plus bas niveau scolaire sont ceux qui utilisent le plus les outils numériques. Sur le terrain, les effets délétères de la surexposition aux écrans sur la jeunesse sont largement constatés partout et également documentés par plus de 1500 études internationales : troubles de l’attention, troubles du sommeil, retard de langage, difficulté de compréhension, retard intellectuel (QI), troubles des apprentissages, troubles DYS, intolérance à la frustration, difficulté à gérer leurs émotions, baisse de l’empathie, violence, cyber-harcèlement, troubles des interactions sociales, isolement, dépression, etc.2.

Nos associations assistent au quotidien aux ravages des écrans, et reçoivent chaque jour des témoignages des professionnels de l’éducation et de la santé, mais aussi des familles. Notons ici que faire de ces outils la base de l’enseignement tend non seulement à accentuer une dynamique déjà extrêmement problématique avant le confinement, mais aussi à envoyer un message contradictoire aux familles, laissant entendre que les écrans sont les alliés de l’éducation alors qu’ils en sont, dans l’immense majorité des cas, les ennemis.

Une catastrophe écologique, économique et sociale

Comment concilier les ambitions écologiques indispensables à l’heure du réchauffement climatique et l’achat massif d’objets polluants lors de la fabrication et de leur utilisation ? Pour rappel, le numérique représente d’après le Shift Project 4% du total des émissions de gaz à effet de serre, soit davantage que le secteur aérien, et connaît une hausse constante, que la numérisation de l’éducation alimente. L’argent public dépensé dans des tablettes obsolètes tous les trois ans ne serait-il pas plus utile, par exemple, dans le recrutement de personnel ou la réparation des écoles vétustes ?

De plus en plus de parents d’élèves s’inquiètent de la numérisation de l‘école et certains font déjà la démarche de retirer leur enfant des établissements scolaires publics pour les inscrire dans des établissements privés sans écrans, accentuant ainsi les inégalités sociales. Un phénomène déjà bien ancré aux États-Unis où les parents de la Sillicon Valley paient l’éducation Waldorf sans écran jusqu’à 14 ans, tandis que dans le public on n’apprend même plus à écrire dans 40 États sur 50. C’est pourquoi certains territoires (voir l’exemple du Loiret ci-dessous) font marche arrière et retirent l’équipement numérique destiné aux enfants.

Madame, Monsieur, nous vous invitons ainsi à résister aux discours enthousiastes de l’industrie numérique promettant dans un même mouvement la croissance économique et l’éducation de nos enfants. La jeunesse française passe désormais l’essentiel de son temps éveillé devant un écran3, à 90% pour du divertissement : vidéos, jeux vidéos et réseaux sociaux, avec une lourde tendance en faveur des contenus violents et pornographiques. Le temps de l’école doit être un temps de déconnexion des écrans et non un facteur aggravant l’hyperconnexion.

Nous vous prions donc de résister tant que faire se peut à cette numérisation de l’éducation. En cas de nouvelle vague épidémique et de fermeture des établissements scolaires, nous recommandons en premier lieu d’explorer toutes les solutions limitant l’usage des écrans (distribution de cours papier ? Incitation à utiliser davantage leurs manuels ?) et, en l’absence d’autres alternatives que la classe virtuelle, de ne pas « offrir » les ordinateurs aux enfants, mais plutôt de les prêter aux parents qui en font la demande, seulement le temps du confinement. Pour rappel, nous n’avons pas vocation à vivre confinés jusqu’à la fin des temps…Il faut en outre que les enseignants et les parents aient été formés aux dangers du numérique, à l’importance des lieux et des temps sans écrans, aux contrôles parentaux, etc.

Vous sachant attaché à l’intérêt supérieur de l’enfant nous espérons que nos arguments et nos propositions sauront vous convaincre.

Nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs, à l’assurance de notre profond respect et nous restons à votre disposition si vous le jugez utile.

Associations signataires

  • CoSE (Collectif Surexposition écrans)
  • Lève les yeux !
  • Collectif Nous Personne
  • Technologos
  • Edupax
  • Adikphonia (Journées mondiales sans portable)
  • Halte à l’obsolescence programmée (HOP)
  • Alerte écrans
  • Sciences critiques
  • Green IT
  • Screenpeace
  • Collectif Parents Unis contre le smartphone avant 15 ans
  • AFCIA (Association française contre l’intelligence artificielle)
  • Priartem
  • Enfance – Télé : Danger ?
  • Chevaliers du Web
  • Etikya
  • Fondation pour l’école
  • Sans Mon Portable
  • Attention D.É.F.I. « (Attention Dangers Écrans Formons Informons)
  • LACUNE (L’association contre l’Utilitarisme et le Numérique Éducatifs)
  • Collectif du Vallon (Aveyron) d’information sur les objets connectés et champs électromagnétiques artificiels.
  • Collectif Défense Éducation 38
  • Attac Isère
  • Collectif  “Écran Total – pour un usage raisonné et responsable du
    numérique dans l’éducation” de Nancy (54)
  • Association 3/12 (Var)
  • Groupe Français d’éducation nouvelle (GFEN) 67

ANNEXE : Expérience du Département du Loiret : l’opération « CarTab’ » de 2013 à 2017.

De 2013 à 2017, dans un collège de la région Centre Val de Loire, tous les élèves et les enseignants ont reçu une tablette de la marque Ipad (550 euros) dans le cadre d’une opération nommée : « CarTab’ » pour lutter officiellement contre la fracture numérique. Coût de la facture finale : 600 000 euros soit 1555 euros par élève.

Une enseignante en poste à cette époque-là, a bien voulu partager son expérience : « Les élèves étaient très contents de recevoir une tablette. Cet outil informatique était censé alléger le cartable, réduire la fracture numérique entre les familles et apporter une plus-value pédagogique. Les manuels numériques remplaçant les livres scolaires, beaucoup d’enseignants se sont débarrassés des manuels. Les tablettes étaient soi-disant sécurisées mais très vite les élèves ont réussi à les débrider et à s’en servir pour jouer aux jeux vidéo ou aller sur des sites internet bien éloignés du projet pédagogique initial…

Beaucoup de parents ont commencé à se plaindre :

« C’est une catastrophe, à 1 heure du matin ils sont encore sur des jeux, on n’arrive pas à les faire décrocher… ». Rapidement aussi, les tablettes ont été cassées ou perdues sans possibilité d’en racheter une nouvelle. Il y avait beaucoup de problèmes de connexion et le contenu pédagogique des manuels imposés par l’outil numérique bien souvent, ne convenait pas aux enseignants. La plus-value pédagogique était nulle et même négative. Ce fut un coup de pub énorme sans que les conséquences sur l’enseignement et la santé des élèves ne soient anticipées. Au bout de 3 ans, les tablettes ont été retirées du collège et il a fallu racheter des livres… Les enseignants qui avaient eu la prudence de garder les anciens manuels scolaires s’en sont félicités ! ».

Les familles ne peuvent pas penser qu’il y a un danger à ce que leur enfant utilise un écran puisqu’il est donné par l’école ! Le problème provient aussi du fait qu’aucun message de prévention n’est donné lors de la remise des outils informatiques : limitation du temps d’exposition en fonction de l’âge de l’enfant, moments pour l’utiliser (pas le matin, pas pendant les repas, pas dans la chambre, pas avant de se coucher : « 4 pas » de Sabine Duflo), information sur les dangers d’internet et sur les contenus inappropriés, normes PEGI pour les jeux vidéo, aide à l’installation de contrôle parental…). Cette distribution généralisée de matériel informatique aux enfants a eu un coût très important sur le plan de la santé psychique et physique des enfants.

1OECD, « Students, computers and learning : making the connection ( PISA) », oecd, 2015.

2Etudes accessibles sur le site du collectif COSE : www.surexpositionecrans.org

3ASNAV, chiffres de la santé visuelle 2019

Contact Presse 

Yves Marry

Tel : 06 87 06 87 35

E : yves@levelesyeux.com

www.levelesyeux.com